Japon: Les Torii, symboles de pureté et de transition spirituelle
Dernière mise à jour : 6 oct.
Les Torii ne sont pas seulement des éléments architecturaux définissant les paysages et les espaces sacrés du Japon. Ils incarnent l'essence même de la culture et de la spiritualité japonaises. Ouvrant une porte sur l'histoire, les croyances et les valeurs d'une nation, ils symbolisent le passage du monde profane au monde sacré, selon la religion shinto.
Le Torii se traduit littéralement par "porte d'oiseaux" ou encore "là où se posent les oiseaux" en japonais. Il constitue un portail traditionnel associé aux sanctuaires shinto. Ces structures, reconnaissables à leurs montants verticaux et à leur traverses horizontales représentent l'entrée dans un monde pur, spirituel ou sacré.
Pour avoir photographié des dizaines de Torii à travers tout le pays depuis plus de 15 ans, je me suis souvent interrogé sur leur histoire, leurs styles (si il en existe) ou encore leur taille et leur matérialité. De même, les interminables moments de réflexion photographique face à ces Torii construits sur l'eau m'ont amené à vouloir en savoir plus sur leur situation pour le moins intrigante.
Au travers de cet article, je tente d'apporter quelques informations que j'espère utiles et que j'ai récoltées au fil des années. Elles ont pour objectif de répondre à ces questions tant philosophiques que techniques. Bien qu'il m'ait été difficile d'obtenir des renseignements précis quant à l'histoire de ces Torii, j'ai pu, par mes recherches et rencontres, cataloguer les principaux styles architecturaux reconnus au Japon ainsi que les valeurs philosophiques qui habillent ces portes spirituelles.
Enfin, vous trouverez également quelques renseignements sur les Torii qui sont, pour les Japonais, parmi les plus célèbres du pays.
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Sommaire:
Histoire des Torii au Japon
Les Torii ont une longue histoire qui remonte à la période Heian (794-1185). A l'origine, ils n'étaient composés que de 4 poteaux reliés entre-eux par des cordes. Ces poteaux délimitaient foncièrement les parcelles des sanctuaires en marquant leur entrée.
Au fil du temps, on leur a attribué des valeurs philosophiques ou spirituelles. Ils ont dès lors servi à séparer le monde sacré de l'espace profane. En traversant un Torii, le visiteur est censé se purifier et se préparer à rencontrer le divin. Cette notion de purification est centrale dans la religion shinto, où la pureté et la pollution sont des concepts clés.
Selon les gravures anciennes, les peintures ou autres écrits, les premiers Torii connus au Japon dateraient du 10e siècle. Cependant, il faut noter que la tradition des Torii pourrait remonter à une période encore plus ancienne selon certains manuscrits. Les premières mentions écrites de Torii apparaissent dans des textes japonais du 10e siècle, mais leur origine et leur développement précis restent en partie enveloppés de mystère.
Bien que cette notion d'ancienneté fasse toujours débat, le Torii reconnu par les historiens comme étant le plus ancien du pays et toujours sur pieds est le Torii du sanctuaire et temple Kinpusenji à Nara. Il daterait de 1455.
Ces structures ont évolué au fil du temps, reflétant les changements dans les matériaux de construction, les styles architecturaux et les influences culturelles. Initialement, je le disais, les Torii pourraient avoir eu une signification plus pratique, dénuée de toute signification religieuse, qui a disparu aujourd'hui. Comme par exemple, marquer la frontière d'un territoire ou d'un espace sacré, avant de devenir les portails symboliques que nous connaissons. Désormais, ils servent de passerelle spirituelle entre le monde profane et le domaine des Kami, les divinités shinto.
Les rôles des Torii
Au-delà de leur rôle religieux, les Torii sont profondément ancrés dans la culture japonaise. Ils sont souvent le sujet de légendes et de récits. Par exemple, l'histoire du Torii flottant de Itsukushima, qui semble flotter sur l'eau à marée haute, est entourée de mythes et de légendes, reflétant l'union harmonieuse entre l'homme, la nature et la spiritualité.
Les Torii peuvent également prendre diverses formes et être construits à partir de différents matériaux. Les plus classiques sont en bois, peints en rouge orangé vif (couleur des sanctuaires shinto) avec des extrémités noires, mais on en trouve aussi en pierre, en métal et même en béton. Cette diversité reflète l'évolution de la société japonaise au fil des siècles, tout en conservant un lien profond avec les traditions.
En philosophie, les Torii peuvent être vus comme une métaphore du voyage de la vie, marquant le passage d'un état à un autre, de l'ignorance à la sagesse, du profane au sacré. Ils nous rappellent que la vie est un chemin jalonné de transitions et de transformations, et que chaque étape a sa propre signification et importance.
La porte des Kami
En passant sous un Torii, le profane pénètre donc dans une enceinte sacrée réservée aux divinités Shinto appelées Kami. Ces Kami sont des divinités ou des esprits qui infusent l'univers. Ils ne sont pas des dieux au sens omnipotent du terme mais plutôt des manifestations sacrées de la nature, des ancêtres, des concepts ou phénomènes spirituels.
Les Kami résident dans les éléments naturels comme les montagnes, les rivières, les arbres, ainsi que dans des objets ou des lieux spécifiques considérés comme sacrés. Cette croyance reflète une vision animiste du monde, où chaque élément de la nature possède une essence spirituelle.
Les Kami peuvent influencer le bien-être et la fortune des humains, d'où l'importance pour les Japonais de maintenir une relation harmonieuse avec eux à travers des rituels, des prières et des offrandes. Le culte shinto ne les considère pas comme parfaitement bons ou mauvais, mais plutôt comme des forces pouvant être bienveillantes ou hostiles, en fonction des circonstances. Les Kami incarnent donc la complexité et l'interconnexion de la nature, de la spiritualité et de l'humanité.
Les styles de Torii
Bien qu'aujourd'hui seuls deux styles architecturaux semblent se distinguer (Shinmei et Myōjin), les torii, comme toute construction, ont évolué au fil des siècles en plusieurs styles distincts, chacun avec ses propres caractéristiques et son histoire.
Ces styles reflètent les différences régionales, l'évolution architecturale et l'influence de certains sanctuaires. Voici les principaux styles de torii que j'ai vus ou découverts dans la littérature spécialisée:
1. Shinmei Torii (神明鳥居)
Description: Le style le plus simple et le plus ancien, associé aux sanctuaires les plus importants du Japon.
Caractéristiques: Traverses droites et non décorées, sans courbes vers le haut ni éléments décoratifs. La poutre horizontale appelée "Kasagi" est souvent plate, et les piliers sont cylindriques.
Exemple: De nombreux sanctuaires importants, tels que Ise Jingu (伊勢神宮), utilisent ce style, qui s’aligne avec l’esthétique shintoïste de pureté et d'harmonie avec l'environnement dans lequel ils sont bâtis.
2. Myōjin Torii (明神鳥居)
Description: Le style de torii le plus courant et emblématique, que l'on voit dans de nombreux sanctuaires shintoïstes à travers le Japon. Ces torii sont en bois (souvent peints en vermillon et noir), en pierre ou en béton.
Caractéristiques: Le kasagi (traverse supérieure) est courbé vers le haut, lui donnant une apparence distinctive. Sous le kasagi, se trouve une seconde traverse appelée "Shimaki". Les piliers sont légèrement effilés et peuvent être inclinés vers l'intérieur.
Exemples: Quelques exemples représentatifs de Myōjin torii peuvent être vus aux sanctuaires Hachiman Jinja (八幡神社) dans la préfecture de Yamagata, Hakozaki Jinja (筥崎神社) dans la préfecture de Fukuoka, et Yasaka Jinja (八坂神社) à Kyoto.
3. Kasuga Torii (春日鳥居)
Description: Une variante du Myōjin torii, utilisée spécifiquement au Kasuga Taisha (d'où le nom de ce style) et dans les sanctuaires affiliés.
Caractéristiques: Le design inclut des supports appelés "Sai" sous la traverse, offrant plus de stabilité et un élément décoratif. Le sommet des piliers présente parfois une légère bosse.
Exemple: Kasuga Taisha (春日大社) à Nara.
4. Hachiman Torii (八幡鳥居)
Description: Un style associé aux sanctuaires Hachiman, dédiés au dieu de la guerre.
Caractéristiques: Le kasagi (poutre supérieure) est généralement droit comme dans le style Shinmei, mais les piliers sont plus larges et plus robustes. Ce type inclut souvent une seconde traverse horizontale appelée "Nuki" en dessous.
Exemple: Un exemple représentatif de Hachiman torii se trouve à Iwashimizu Hachimanguu (石清水八幡宮) à Kyoto.
5. Ryōbu Torii (両部鳥居)
Description: Un style influencé par le bouddhisme Shingon mélangeant des éléments bouddhiques et shintoïstes. Le Ryobu torii appartient à la famille des Myōjin torii. Ses deux piliers sont soutenus à l'avant et à l'arrière par des poteaux courts appelés "Yoji torii". Le nom, Ryobu, est d'ailleurs dérivé du bouddhisme auquel le shintoïsme a longuement été associé.
Caractéristiques: Souvent composé de deux ensembles de piliers avec plusieurs traverses (comme deux torii combinés). Le design a une structure plus complexe et se trouve souvent dans les sanctuaires ayant des liens historiques avec le bouddhisme.
Exemples: Quelques Ryōbu torii représentatifs se trouvent aux sanctuaires Kubohachiman Jinja (窪八幡神社) dans la préfecture de Yamanashi, Kehi Jinja (気比神社) dans la préfecture de Fukui, et Itsukushima Jinja (厳島神社) dans la préfecture d'Hiroshima (photo ci-dessous).
6. Inari Torii (稲荷鳥居)
Description: Une variante associée aux sanctuaires Inari, dédiés à la divinité renard.
Caractéristiques: Similaire au Myōjin torii, mais souvent peint en vermillon (un rouge vif) avec des inscriptions des noms de donateurs. Ces torii sont souvent placés en longues rangées continues, créant des chemins de portes ressemblant à des tunnels.
Exemple: Le sanctuaire Fushimi Inari à Kyoto, avec son célèbre "Senbon Torii" (Mille "Portes Torii").
7. Mihashira Torii (三柱鳥居)
Description: Aussi connue sous le nom de "Torii à trois piliers", ce style unique a une symbolique religieuse importante.
Caractéristiques: Trois piliers sont disposés en formation triangulaire, avec des traverses les reliant, créant une forme géométrique plus complexe. La structure symbolise l'unité ou l'intersection de trois mondes (ciel, terre et monde souterrain).
Exemple: Un exemple représentatif de Mihashira torii se trouve au sanctuaire Konoshima Amaterumitama Jinja (木嶋坐天照御魂神社) à Kyoto.
8. Chūren Torii (中連鳥居)
Description: Un style de torii plus élaboré et ornementé, avec des supports supplémentaires et des éléments décoratifs.
Caractéristiques: Il inclut des supports intermédiaires reliant les piliers verticaux aux poutres horizontales, ce qui lui donne une structure plus complexe. Le Chūren Torii est moins répandu que d'autres styles, mais son architecture détaillée et renforcée se distingue dans les sanctuaires ayant une histoire de grande importance.
Exemple: Un exemple représentatif du style Chūren Torii se trouve au sanctuaire Nezu (根津神社) à Tokyo.
9. Kuroki Torii (黒木鳥居)
Description: Un torii rustique fait de troncs non écorcés et non peints, laissant l'écorce naturelle intacte. Kuroki signifie littéralement "arbre noir".
Caractéristiques: C’est un torii brut et naturel, souvent associé à des sanctuaires plus petits ou ruraux. L’apparence rustique du Kuroki Torii reflète le lien profond du sanctuaire avec la nature et le mythe, notamment la caverne où la déesse du soleil Amaterasu se serait cachée, symbolisant les forces naturelles et divines entremêlées dans les croyances shintoïstes.
Exemple: Un exemple notable du style Kuroki Torii se trouve au sanctuaire Amano-Iwato (天岩戸神社) dans la préfecture de Miyazaki.
Il est important de noter que cette liste n’est pas exhaustive.
Elle comprend seulement les styles que j'ai vus ou découverts dans des ouvrages spécialisés lors de mes recherches sur l'architecture japonaise. De plus, il est particulièrement difficile de trouver une liste claire de ces styles de torii. Leur évolution au fil des périodes historiques a mené à de nombreuses interprétations des styles originaux. Il n'est également pas rare de trouver des torii qui ne correspondent à aucun des styles connus, mais qui sont simplement des variantes imaginées par leurs concepteurs. Par conséquent, cette liste (que je m'efforce de tenir à jour au fil de mes découvertes) peut contenir des erreurs d'un point de vue académique.
Les Torii les plus célèbres
Au Japon, plusieurs Torii sont célèbres pour leur beauté, leur importance historique ou leur emplacement unique. Voici 6 exemplaires parmi les plus remarquables pour les Japonais mais aussi pour la communauté internationale:
1. Torii de Itsukushima: Situé au sanctuaire d'Itsukushima (également connu sous le nom de Miyajima) dans la préfecture d'Hiroshima, ce Torii flottant est l'un des plus emblématiques du Japon. A marée haute, il semble flotter sur l'eau, créant une vue spectaculaire (photo ci-dessus).
2. Torii de Fushimi Inari-Taisha: Ce sanctuaire à Kyoto est célèbre pour ses milliers de Torii rouge orangé formant des tunnels le long des chemins du sanctuaire. Chaque Torii a été offert par un individu ou par une entreprise en guise d'offrande.
3. Torii de Meiji-jingū: Situé à Tokyo, ce grand Torii en bois de cyprès est le symbole du sanctuaire Meiji, l'un des sanctuaires shinto les plus importants du Japon, dédié à l'empereur Meiji et à l'impératrice Shōken.
4. Torii de Heian-jingū: À Kyoto, ce Torii est l'un des plus grands du Japon et marque l'entrée du sanctuaire Heian-jingū, connu pour son architecture imposante et son jardin traditionnel.
5. Torii de Hakone-jingū: Situé au bord du lac Ashi à Hakone, ce Torii est particulièrement photogénique, offrant un contraste saisissant entre le portail traditionnel et le cadre naturel du lac et des montagnes environnantes.
6. Torii de Izumo Taisha: Ce sanctuaire, l'un des plus anciens et des plus importants du Japon est situé dans la préfecture de Shimane. Il présente plusieurs Torii impressionnants, dont un particulièrement grand à l'entrée principale.
Les Torii et l'eau
Les Torii posés sur des lacs ou sur la mer au Japon véhiculent une signification symbolique profonde, liée à la spiritualité et aux croyances shinto. Ces structures, comme le célèbre Torii flottant du sanctuaire d'Itsukushima, représentent plusieurs éléments clés de la pensée et de la culture japonaises:
1. Liaison entre le sacré et le profane: Les Torii marquent traditionnellement la frontière entre le monde profane et le monde sacré. Lorsqu'ils sont placés sur l'eau, ils soulignent cette transition d'une manière particulièrement visuelle et frappante, suggérant un passage du monde tangible et quotidien vers un royaume spirituel et éternel.
2. Harmonie avec la nature: Le culte shinto valorise profondément la nature et tous ces constituants car il la considère comme étant habitée par les Kami. Un Torii sur l'eau incarne cette harmonie entre les éléments naturels et le sacré, soulignant le respect et l'admiration pour l'environnement naturel.
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3. Purification: L'eau a une importance rituelle caractéristique dans le culte shinto pour sa capacité à purifier. Un Torii situé sur l'eau symbolise cette purification. Il suggère que le passage à travers le Torii aide à nettoyer spirituellement ceux qui entrent dans le sanctuaire.
4. Repère et accueil: Pour les pèlerins et les visiteurs arrivant par la mer ou le lac, le Torii sert de repère dans le paysage, indiquant le point d'accueil du sanctuaire et invitant les gens à entrer dans un espace de paix et de spiritualité.
5. Beauté et sérénité: Esthétiquement, les Torii participent tous d'un paysage spectaculaire, créant un contraste frappant entre l'architecture humaine et la beauté naturelle. Ils symbolisent la quête de sérénité et de beauté, des valeurs profondément ancrées dans la culture japonaise.
Le mot de la fin
Les Torii du Japon, plus qu'une simple manifestation architecturale, représentent une expression profonde de la philosophie et de la spiritualité japonaises. Ils symbolisent le passage du monde matériel au monde spirituel, servant de ponts entre l'humain et le divin.
En franchissant un Torii, on se déplace non seulement physiquement, mais aussi symboliquement, de la réalité quotidienne vers un espace de pureté et de sacralité. Les divers styles et emplacements des Torii, qu'ils se dressent majestueusement dans les sanctuaires forestiers ou semblent flotter sur les eaux, reflètent l'harmonie recherchée entre l'homme, la nature et les Kami.
Ces structures, par leur simplicité et leur élégance, invitent à la réflexion sur notre place dans l'univers et sur notre relation avec le monde naturel et spirituel. Ainsi, les Torii ne sont pas de simples constructions, mais des symboles vivants d'une quête perpétuelle d'équilibre, d'harmonie et de compréhension de la vie.