Japon: Le temple Daisho-in, l'héritage de Kukai au pied du Mont Misen
Dernière mise à jour : il y a 7 jours
Le temple Daisho-in, situé sur l'île d'Itsukushima (souvent appelée Miyajima), est l'un des temples bouddhiques les plus importants du pays. Avec une riche histoire remontant à plus de mille ans, Daisho-in est reconnu pour sa signification spirituelle, son importance historique, ainsi que pour ses vues spectaculaires. Un lieu incontournable pour les photographes.
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Comme je le disais en titre, le temple Daisho-in se trouve au pied du mont Misen, le plus haut sommet de Miyajima. Il constitue également un contrepoint important au sanctuaire d'Itsukushima, plus largement reconnu sur l'île. Le temple propose un mélange de pratiques méditatives, d'art et de culture du bouddhisme Shingon.
Ayant visité et photographié Daisho-in à plusieurs reprises, j'ai toujours ressenti que ce temple s'inscrivait dans la lignée des 88 temples qui composent le pèlerinage de Shikoku (voir mes articles à ce sujet).
Naturellement, Daisho-in est un temple de l'école Shingon. A ce titre, il ressemble évidemment à d'autres temples de cette tradition spirituelle bouddhique. Mais au-delà de cela, le mysticisme qui émane de ce complexe est exceptionnel (je l'ai toujours visité en automne ou en hiver). Je n'ai remarqué cette particularité que dans très peu d'autres temples Shingon, à part ceux de Shikoku ou de Koyasan, bien sûr. Après une récente visite, j'ai finalement décidé d'écrire un article à ce sujet. Mieux vaut tard que jamais.
Cependant, lors de ma première visite en 2011, l’atmosphère était bien plus paisible qu’en 2024! Aujourd'hui, quelle que soit la saison, des foules de touristes se préparent à gravir les nombreuses marches de Daisho-in, souvent sans aucun égard pour le lieu. Je vous épargnerai les commentaires que j'ai entendus (en français et en anglais) sur les statues dans les différentes salles. Ou encore ces deux couples de touristes qui se sont retrouvés et ont engagé une conversation animée, riant bruyamment. Je me demande s'ils se comporteraient de la même manière dans une église...
De telles attitudes négligentes ne sont pas en adéquation avec l'esprit du lieu et enlèvent indéniablement une partie du charme de ce magnifique temple. Qu’on soit croyant ou non (je ne le suis pas), il me semble que la moindre des choses est de visiter ces lieux avec le respect qu'ils méritent, plutôt que de les confondre avec une sorte de folklore local. Bref, je souhaitais le dire.
Passons maintenant à ce qui constitue le temple Daisho-in et à son histoire.
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Contexte historique
Le temple Daisho-in a été fondé en 806 par le vénéré moine Kōbō Daishi, également connu sous le nom de Kūkai, le fondateur du bouddhisme Shingon importé de Chine. En effet, c'est après avoir étudié le bouddhisme ésotérique en Chine que Kūkai est revenu au Japon et a établi la secte Shingon. Ce courant met l'accent sur la quête de l'illumination à travers des pratiques méditatives et des rituels. Lire mon article sur le bouddhisme Shingon et Kūkai ici.
Sa décision de fonder Daisho-in sur l'île de Miyajima a probablement été influencée par l'importance religieuse de l'île depuis des siècles. Avant l'essor du bouddhisme, l'île était déjà considérée comme sacrée par les adeptes du shintoïsme, la religion indigène du Japon, qui vénéraient son imposant mont Misen comme le lieu de résidence des divinités.
Kūkai se servait du temple comme centre de référence pour la méditation et la formation. Il est donc rapidement devenu un point central pour la propagation des enseignements Shingon dans la région. Daisho-in occupe ainsi une place particulière dans la lignée des temples Shingon au Japon, rivalisant en importance historique avec d'autres temples tels que le Kongōbuji du mont Kōya, siège du bouddhisme Shingon. Au fil des siècles, Daisho-in a attiré de nombreuses figures éminentes, y compris des membres de l'élite dirigeante des périodes Heian et Kamakura, qui se rendaient au temple pour des retraites spirituelles et obtenir des conseils religieux.
La famille impériale et l'aristocratie militaire
L'influence de Daisho-in sur le pays s'est considérablement étendue pendant la période Heian (794-1185), lorsqu'il est devenu étroitement associé au puissant clan Taira. Taira no Kiyomori, chef du clan et figure militaire majeure, a joué un rôle crucial dans la prospérité du temple au cours du 12ᵉ siècle. Sa dévotion à Miyajima en tant que site sacré l'a conduit à financer et soutenir le développement à la fois du sanctuaire d'Itsukushima et du temple Daisho-in, contribuant ainsi à cimenter leur statut de symboles à la fois religieux et politiques.
Sous l'influence de Kiyomori, Daisho-in a prospéré, accueillant d'importantes cérémonies qui combinaient pratiques shintoïstes et bouddhiques, un phénomène connu sous le nom de "Shinbutsu shūgō", ou la fusion du shintoïsme et du bouddhisme.
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Cette époque marqua également un entrelacement unique entre le paysage religieux, politique et culturel. Le temple devint une destination non seulement pour les moines, mais aussi pour les membres de la classe des samouraïs, qui cherchaient la sagesse spirituelle en temps de guerre et de paix. Les chefs samouraïs, y compris ceux des clans Ashikaga et Mōri pendant les périodes Kamakura (1185-1333) et Muromachi (1336-1573), continuèrent de patronner le temple, consolidant ainsi son influence dans la région.
Déclin et restauration à l'époque moderne
Malgré son importance initiale, Daisho-in connut une période de déclin durant la Restauration de Meiji (1868-1912), lorsque le gouvernement imposa la séparation du shintoïsme et du bouddhisme, appelée "Shinbutsu bunri", une politique visant à revitaliser le shintoïsme tout en diminuant l'influence du bouddhisme. Ce mouvement national entraîna la fermeture ou la destruction de nombreuses institutions bouddhiques, ainsi que le démantèlement d'artefacts bouddhiques dans les sanctuaires shinto. Le temple Daisho-in ne fit malheureusement pas exception, souffrant de négligence et d'une perte de ressources durant cette période tumultueuse.
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Cependant, de sérieux efforts pour restaurer le temple commencèrent à la fin du 19ᵉ et au début du 20ᵉ siècle. Une figure notable de cette restauration fut l'empereur Meiji, dont la visite à Miyajima en 1885 suscita un regain d'intérêt pour la préservation du patrimoine religieux de l'île. En 1952, Daisho-in fut désigné site historique par le gouvernement japonais, soulignant son importance culturelle et religieuse. Depuis lors, le temple a fait l'objet de divers projets de restauration, assurant ainsi sa préservation en tant que centre de pratiques bouddhiques et destination pour les pèlerins et les touristes.
Caractéristiques architecturales et trésors
Daisho-in est réputé pour son ambiance paisible, son design architectural complexe et les nombreux trésors qu'il abrite. Le complexe du temple se compose de plusieurs bâtiments, halls et statues qui s'intègrent harmonieusement dans le paysage naturel de l'île.
1. Hall principal (Kannon-do)
Le Kannon-do (hall principal) est dédié à Kannon, la déesse bouddhique de la miséricorde. Ce hall est au cœur de la vie spirituelle du temple. C'est un lieu où les visiteurs prient souvent pour la protection et la guérison. A l'intérieur du hall, on trouve plusieurs statues importantes, dont une statue assise de Kannon et diverses représentations d'autres divinités bouddhiques, reflétant le riche panthéon de la tradition Shingon.
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Au fait, faut-il dire bouddhique ou bouddhiste?
En français, les termes « bouddhique » et « bouddhiste » ont des significations différentes, bien qu'ils soient liés au bouddhisme.
Le terme « bouddhique » fait référence à tout ce qui est relatif au bouddhisme en tant que religion ou culture. Il s'applique généralement aux objets, concepts ou éléments qui appartiennent à cette tradition. Le terme « bouddhiste » désigne les personnes qui adhèrent au bouddhisme ou qui suivent ses enseignements. Un bouddhiste est donc un pratiquant ou un adepte du bouddhisme.
On peut aussi utiliser le terme bouddhiste comme adjectif pour qualifier quelque chose en lien direct avec les pratiques des personnes bouddhistes, comme une communauté bouddhiste ou un temple bouddhiste. Mais personnellement, je marque clairement la différence dans mes articles et parle donc d'enseignement, de textes ou de temples « bouddhiques ». Je réserve le terme « bouddhistes » exclusivement aux personnes.
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2. Hall Maniden
L'une des caractéristiques les plus distinctives du temple est le hall Maniden, une salle de prière qui surplombe la mer intérieure de Seto. Il est particulièrement célèbre pour son "Daimoku", une grande roue à prières que les visiteurs font tourner en montant les marches menant au hall. On prétend que faire tourner cette roue tout en récitant le Sūtra du Lotus apporte bénédiction et mérites spirituels.
3. Grotte Henjokutsu
La grotte Henjokutsu est l'une des parties les plus vénérées de Daisho-in. A l'intérieur de cette grotte, les visiteurs peuvent trouver 88 statues, chacune représentant un des temples de la route du pèlerinage de Shikoku Henro que j'ai mentionnée plus haut. Les pèlerins qui visitent Daisho-in et prient dans cette grotte peuvent obtenir le même mérite spirituel que s'ils avaient accompli l'intégralité du pèlerinage, ce qui en fait un lieu d'attraction important pour ceux qui ne peuvent entreprendre le long voyage à travers Shikoku.
4. Statues de Fudo Myo-o
A travers le complexe du temple, les visiteurs rencontreront des statues de Fudo Myo-o, une divinité protectrice redoutable dans le bouddhisme Shingon. Fudo Myo-o est souvent représenté avec une épée dans une main, symbolisant le pouvoir de trancher l'ignorance, et une corde dans l'autre, représentant sa capacité à lier les esprits malveillants. Ces statues sont une caractéristique emblématique des temples Shingon et illustrent l'accent mis par cette secte sur le dépassement des obstacles pour parvenir à l'illumination.
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5. Statues des 500 Rakan
L'une des caractéristiques visuellement les plus spectaculaires de Daisho-in est sa collection de 500 statues de Rakan, qui représentent les disciples de Bouddha. Ces statues sont dispersées sur l'ensemble du domaine, chacune ayant des expressions et des postures uniques. Les visiteurs sont encouragés à trouver une statue qui résonne avec leur propre personnalité ou leur parcours spirituel. Lire mon article sur les Rakan et leur signification ici.
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Rôle du temple Daisho-in à l'époque contemporaine
Aujourd'hui, Daisho-in demeure un lieu de culte actif et une destination touristique majeure. Des visiteurs du monde entier viennent y vivre une atmosphère sereine, méditer et admirer l'artisanat et l'histoire du temple. Le temple continue de maintenir ses traditions séculaires, organisant diverses cérémonies bouddhiques, y compris des rituels de feu appelés "Goma" pour la purification et la paix.
Au cours des dernières décennies, Daisho-in est également devenu célèbre pour son ouverture internationale, participant à des dialogues inter-religieux en promouvant la paix. Il accueille fréquemment des échanges culturels et des événements conçus pour favoriser la compréhension entre différentes traditions religieuses, en particulier le bouddhisme et le shintoïsme, tout en tendant la main aux autres religions majeures telles que le christianisme et l'islam.
Ma bibliothèque: Le bouddhisme japonais | En présentant de façon particulièrement claire les doctrines philosophiques des différentes écoles du bouddhisme japonais, ainsi que leur fondateur et leurs principaux temples, cet ouvrage de référence, sans équivalent, permet à chacun de se familiariser avec l'une des expressions les plus originales de l'enseignement du Bouddha et de pénétrer le coeur spirituel du Japon.
Daisho-in et la photographie
Le temple Daisho-in, comme beaucoup de temples, est plus qu'un simple ensemble de structures bouddhiques. C'est un sanctuaire de calme, de méditation et de spiritualité. En photographie monochrome, où la couleur est éliminée, nous y trouvons une esthétique qui fait écho à la simplicité et à l'introspection. Les images produites, concentrées sur la forme, la texture et le contraste, reflètent l'austérité méditative et l'intemporalité du lieux. Elles capturent le jeu de la lumière et de l'ombre, le grain du bois ancien, la texture de la pierre et les visages patinés des statues, ramenant ces scènes à leur essence la plus pure.
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La photographie monochrome exige un respect profond pour le sujet. Dans le contexte d'un temple comme Daisho-in, elle encourage le photographe à s'engager non seulement sur la beauté physique, mais aussi sur l'atmosphère spirituelle. L'absence de couleurs invite l'observateur à contempler des détails qui pourraient autrement passer inaperçus.
Le photographe, tel un pèlerin, doit approcher des lieux comme ce temple avec humilité, conscient qu'il ne capture pas seulement des structures architecturales, mais aussi des siècles de dévotion, de prière et d'expérience humaine. Le monochrome, dans une approche minimaliste, permet à l'essence de Daisho-in d'émerger sans la distraction de couleurs vives. Il rend ainsi hommage à la dignité silencieuse du temple. La photographie devient alors un acte de révérence, une méditation sur la forme et l'espace et un moyen d'expérimenter les courants spirituels plus profonds qui animent de tels lieux sacrés.
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