Japon: Bouddhisme Shingon, la voie de l'illumination selon Kukai
Dernière mise à jour : 9 oct.
Le Shingon est une école du bouddhisme japonais, également appelée bouddhisme tantrique ou bouddhisme Vajrayana. Cette école repose sur les enseignements ésotériques qui utilisent des rituels, des méditations et des mantras pour parvenir à l'illumination. Ce courant spirituel a été introduit au Japon au début du 9e siècle par le moine Kukai, plus tard connu sous le nom de Kobo Daishi.
Danjo Garan, Koyasan | Tirage Fine Art © O. Robert (Acheter ici)
Des racines anciennes importées de Chine à la pratique moderne, voyons comment le Shingon a façonné la spiritualité japonaise.
Introduction
Passionné d'histoire ancienne et d'art japonais, j'ai découvert il y a une quinzaine d'années les origines du bouddhisme Shingon un peu par hasard lors d'un de mes voyages au Japon. Tombé sous le charme de l'histoire unique de ce courant spirituel, j'ai décidé de documenter à ma façon la statuaire du panthéon Shingon pour ses qualités esthétique et artistique.
Cette recherche photographique m'a permis de remonter progressivement le cours de l'histoire jusqu'à avoir le privilège et l'honneur de pouvoir photographier des sculptures de bois flotté, secrètement gardées dans certains temples et musées. Ces sculptures, jamais exposées ni montrées au public, sont considérées comme étant les plus anciennes oeuvres réalisées par le fondateur du courant Shingon, Kukai (voir plus bas).
Accompagné de ma femme dans cette démarche, j'ai pu aisément profiter de sa connaissance impressionnante de son pays natal. Ce qui m'a permis d'accéder à des écrits anciens, impossibles à traduire pour un étranger, même parlant le japonais. Progressivement, nous nous sommes donc mis à la recherche de ces temples Shingon disséminés sur l'ensemble du territoire ou qui ont eu, pendant une période donnée, un lien direct avec le Shingon.
Je tiens à préciser ici que cette démarche personnelle sur le bouddhisme Shingon ainsi que les travaux sur la statuaire et les lieux sacrés du Japon n'est que le reflet d'un appétit personnel pour l'histoire et l'art de ce pays. N'ayant aucune croyance particulière, mon travail est donc dépourvu de tout message à caractère religieux ou d'appartenance à un courant spirituel. Il est à considérer comme une recherche documentaire.
Sommaire:
© O. Robert
Qu’est-ce que le bouddhisme Shingon
Le fondateur universel du bouddhisme est Gautama Shiddhartha (aussi appelé Bouddha) qui vécu en Inde il y a quelques 2500 ans. Le nom de Bouddha signifie littéralement “Celui qui s’est éveillé à la vérité”. Son enseignement repose sur la doctrine de la recherche de l’illumination.
Cette doctrine décrit le chemin à parcourir pour s’éveiller à la “Vérité de l’Univers” et atteindre ainsi l’illumination parfaite. La doctrine bouddhique repose essentiellement sur la pratique et l’expérience. Elle est guidée par 3 principes fondamentaux que sont le respect des préceptes, la méditation et la recherche de la sagesse.
L’histoire du bouddhisme au Japon a connu de nombreuses transformations au fil des siècles. Des guerres religieuses, des querelles intestines au sein des différents courants spirituels (appelés écoles), la fusion de certaines de ces écoles en de nouveaux courants religieux sont autant de raisons qui ont modifié substantiellement le paysage spirituel du Japon.
Aujourd’hui, 13 courants spirituels bouddhiques existent encore. L’école (ou la secte) Shingon est la plus ancienne toujours en pratique de nos jours, après l’école du bouddhisme Nara qui, quant à elle, n’est plus pratiqué.
Le bouddhisme ésotérique Shingon a été introduit au Japon au début du 9e siècle par Kukai (voir plus bas), plus tard connu sous le nom de Kōbō Daishi, après son voyage en Chine.
Au fil des siècles, l'école Shingon a établi de nombreux temples, dont le plus célèbre s'appelle Kongobuji et est situé sur le mont Koya (Koyasan) dans la préfecture de Wakayama. Il a été fondé par Kukai lui-même en 819. Ce lieu est rapidement devenu le centre principal et administratif des études et des pratiques Shingon.
L’enseignement du moine fondateur Kukai est appelé Mikkyo en japonais. Ce qui signifie “Enseignement secret”. La spécificité du Mikkyo est sa transmission orale et spirituelle. Il n’existe pas ou très peu d’écrits à ce sujet. Le Mikkyo repose sur le fait que l’enseignement doit se faire par l'expérience en quête de l’illumination et enseignée d’une personne à une autre.
Dans l’enseignement Mikkyo, on reconnaît 5 divinités appelées les 5 Bouddhas dont Dainichi Nyorai est le Bouddha central et très souvent représenté dans les temples Shingon.
Temple Jurakuji et temple Daihoji © O. Robert
Spécificités du bouddhisme Shingon
Lorsque le moine Kukai fonda la nouvelle école du bouddhisme ésotérique qu’il appela Shingon, littéralement “Les mots de la Vérité”, il se différencia des précédents courants de pensées en imposant 2 piliers fondamentaux dans son enseignement:
Chaque pratiquant a la possibilité d’atteindre l’illumination durant sa vie physique sur terre sans recourir à la réincarnation. Cette notion est appelée Sokushin Jobutsu.
Apporter la Paix éternelle au Japon par ses pratiques et ses actes.
L'enseignement principal du bouddhisme Shingon est que l'illumination est possible dans cette vie-même, à travers des pratiques ésotériques. Contrairement à d'autres écoles du bouddhisme, qui considérent l'illumination comme un processus s'étendant sur plusieurs vies au travers de la réincarnation, le Shingon enseigne que l'illumination rapide est accessible grâce à la pratique correcte.
Les rituels, mantras, mudras (gestes de la main) et la méditation sont tous essentiels pour cette réalisation. Le mantra principal utilisé dans cette école est le mantra de Vairocana, le Bouddha cosmique, qui représente la réalité ultime.
Statue de Kukai, temple Mutsu Gokokuji © O. Robert
Kukai, fondateur du bouddhisme Shingon
C’est au 9e siècle, à l’ère Heian, qu’un moine japonais nommé Kukai (774-835) est envoyé en Chine afin d’y étudier le bouddhisme pendant plusieurs années puis revenir au Japon pour y enseigner le fruit de son apprentissage.
Kukai est né à Zentsuji dans la province de Sanuki (aujourd’hui appelée Kagawa). Il était aussi ingénieur et calligraphe. Parmi les nombreuses réalisations qu’il a accomplies durant sa vie, c’est certainement l’invention du système d’écriture japonais Kana qui est la plus célèbre. Ce système permet d’écrire les noms étrangers ou inexistants dans le système traditionnel japonais des Kanji. Il est encore en usage aujourd’hui (Katakana, Iragana).
A l’âge de 15 ans, Kukai commence à étudier les textes classiques chinois sous le contrôle de son oncle maternel Ato-no Otari, grand érudit et spécialiste de la littérature chinoise. En 791, Kukai se rend à Nara, qui était à cette époque la capitale du Japon, pour y étudier dans la prestigieuse université gouvernementale.
Les plus grands bureaucrates de l’époque étaient systématiquement choisis parmi les gradués de cette université et Kukai se destinait à une carrière de bureaucrate. Durant ses études à Nara, il s’est pris d’intérêt pour le bouddhisme. A cette époque, le courant du bouddhisme Nara était le seul (et le premier) connu au Japon.
Une expédition en Chine
En 804, Kukai a eu l’opportunité de se joindre à une expédition officielle qui se rendait à Xi’an - la capitale chinoise de l’époque - et visiter les héritiers de la dynastie des Tang. Son objectif personnel était d’en apprendre davantage sur le bouddhisme ésotérique. Lors de cette expédition, Kukai était accompagné d’un autre moine nommé Saicho qui deviendra également célèbre par la suite en tant que fondateur du courant bouddhique Tendai.
Après avoir passé quelques temps en Chine, Kukai eu l’opportunité d’apprendre les rudiments de l’enseignement ésotérique auprès du moine et maître chinois Huiguo. Le gouvernement japonais lui impose alors de vivre en Chine pour une durée minimum de 20 ans afin d’y parfaire ses connaissances de bases et suivre un enseignement ésotérique auprès de maîtres réputés.
Retour au Japon
Après 2 années d’étude seulement, Kukai avait acquis une somme de connaissances impressionnantes et démontré par sa pratique et sa compréhension qu’il était digne de porter les valeurs du bouddhisme chinois au Japon pour y créer une nouvelle école. Vu cette exceptionnelle compétence, ses paires et enseignants décident de le laisser partir. Il rentre alors au Japon dans la province de Tsukushi (l’actuelle préfecture de Fukuoka) sur l’île de Kyushu, emportant avec lui une quantité importante de livres et d’oeuvres d’art du bouddhisme ésotérique chinois.
Cependant, comme il avait désobéi à son obligation de séjour de 20 longues années imposées par le gouvernement japonais, il s’est vu interdire l’accès à la capitale japonaise. Il décida alors de bâtir plusieurs temples à Fukuoka et sur l'île de Kyushu en général. Le plus célèbre est le temple Tochoji, bâti en 806 à Fukuoka.
Plusieurs années plus tard, cette interdiction fut finalement levée et Kukai reçut de l’empereur l’autorisation de se rendre dans la capitale, Kyoto. Immédiatement, il y proclama son engagement à répandre la doctrine du bouddhisme ésotérique à travers tout le pays. L'un des plus beaux temples de Kyoto datant de cette époque est Toji, célèbre pour sa magnifique pagode (photo ci-dessous).
Pagode du temple Toji, Kyoto | Tirage Fine Art © O. Robert (Acheter ici)
Kukai va étendre ensuite progressivement son enseignement à de nombreuses autres préfectures. Il décide de retourner sur son île d’origine, Shikoku, où il commence à y enseigner ses acquis chinois et décide de créer un nouveau courant de pensées dans le bouddhisme japonais, le courant Shingon.
La légende raconte que Kukai entreprit un périple autour de l’île de Shikoku il y a 1200 ans afin d’y répandre les valeurs de sa nouvelle école. Lors de son voyage de plusieurs années autour de l’île, Kukai aurait lui-même décidé de construire 88 temples en participant lui-même activement à leur construction.
Erudit, savant et curieux, le moine disposait de compétences dans de nombreux domaines autres que religieux. Si bien qu’il aurait réalisé beaucoup de sculptures représentant les divinités du panthéon bouddhique lors de ses périodes de méditation et de retraite dans les montagnes.
Ces 88 temples constituent aujourd'hui le pèlerinage Henro, le plus célèbre du Japon. Il consiste à relier ces temples à pieds au travers des 4 préfectures et sur une distance d'un peu plus de 1200 kilomètres.
Pour plus d'informations sur le pèlerinage Henro, vous pouvez lire mes articles qui lui sont consacrés ici.
Koyasan
En 816, l’empereur Saga autorisa Kukai a établir un haut lieu de retraite spirituelle dans les montagnes de la péninsule de Kii dans la préfecture de Wakayama. Il décide d’y créer le centre spirituel et administratif de la secte Shingon sur le Mont Koya (Koyasan). Kukai y décèdera en 835. Ce lieu devenu très touristique est un passage obligé pour toute personne qui s’intéresse à l’histoire spirituelle ou culturelle du Japon.
Ce magnifique village entouré de collines et forêts regroupe aujourd'hui plus de 120 temples Shingon en activité. Beaucoup de temples de Koyasan se sont tournés vers le tourisme ces dernières années pour assurer leur survie économique. Aussi, il est aujourd'hui possible de séjourner dans ces temples et vivre une expérience étonnante en participant à des cérémonies, des incantations et des prières matinales avec les moines. Ces temples accueillant des touristes s'appellent Shukubo.
Danjo Garan, Koyasan © O. Robert
De Kukai à Kobo Daishi
Le nom de Kobo Daishi sera donné à Kukai à titre posthume par l’empereur Daigo en 921. La signification première de ce nom est "La reconnaissance de l’excellence des efforts et travaux d’un enseignant à répandre la parole du bouddhisme ésotérique”. Bien que ces 2 noms (Kukai et Kobo Daishi) peuvent être utilisés indifféremment, c’est essentiellement le nom de Kobo Daishi qui est utilisé par les pèlerins, appelés "Ohenro", dans leurs prières.
Les fidèles prétendent que Kobo Daishi n’est pas mort mais est entré dans une “méditation éternelle” le 21 mars 835. Son corps est préservé dans un bâtiment situé dans le plus grand cimetière du Japon à Koyasan, le cimetière forêt appelé Okuno-in. Sa dépouille n’est évidemment pas visible des touristes. Seuls quelques moines ont accès à ce temple et apportent quotidiennement de la nourriture à Kobo Daishi en guise d’offrande. La secte Shingon comprend aujourd'hui 3600 temples à travers tout le Japon.
Représentation contemporaine du bouddhisme Shingon
Le bouddhisme Shingon est donc la tradition la plus riche et complexe ayant joué un rôle majeur dans l'histoire religieuse et spirituelle du Japon. Ses enseignements ésotériques et ses pratiques rituelles offrent aux pratiquants une voie vers l'illumination qui est un concept unique parmi les écoles bouddhistes.
Les temples Shingon peuvent être trouvés partout au Japon, et ils sont reconnaissables à leur architecture et leurs rituels distinctifs. L'art ésotérique, comme les mandalas, joue également un rôle central dans la pratique Shingon.
De nos jours, le bouddhisme Shingon continue d'être une force majeure dans la culture religieuse japonaise. Le mont Koya reste un lieu de pèlerinage important pour de nombreux fidèles et moines. Selon certaines estimations, il y a environ 10 millions d'adeptes du Shingon au Japon, bien que le nombre varie régulièrement en fonction des critères de comptage.
Toitures et livrets de mantras, temple Mandaraji © O. Robert
Le mot de la fin
Pour ses adeptes, le bouddhisme Shingon offre une perspective profonde sur la quête humaine de l'illumination. Dans un monde souvent marqué par la temporalité et le changement, l'école Shingon rappelle l'importance de chercher l'éternel au sein du transitoire.
La croyance que l'illumination est accessible dans cette vie souligne la potentialité de chaque moment et l'urgence de la réalisation spirituelle. Kukai, en introduisant ces enseignements au Japon, n'a pas seulement fondé une école de pensée. Il a offert une voie pour ceux qui cherchent à transcender la dualité du profane et du sacré.
Dans une époque contemporaine où de nombreuses personnes ressentent un éloignement spirituel, la sagesse ancienne du Shingon rappelle que l'illumination n'est pas seulement une destination lointaine, mais un voyage qui se vit ici et maintenant, à travers chaque geste, mantra et méditation. Le Shingon appelle ses pèlerins à vivre profondément chaque instant avec intention et éveil.